Clair,

des paysages météorologiques, le dernier hiver.

Photographies de Simon Jourdan

Texte d'Erwan Larzul.

Tous les jours, au matin, je quitte la maison pour déambuler dans le paysage que j’habite. Je descends jusqu’au port, que je longe, où j’aime à m’arrêter afin de boire un café avant d’arpenter la baie. J’y tiendrai le décompte circonstancié des évolutions du jour et de la nuit, selon coutume, mois et saisons, j’observerai les tumuli de roches chahutés par la marée nocturne recomposés à la va vite sous la brume matinale, son ballet de fantômes et de goélands, l’inclinaison respectueuse des frondaisons, les glouglous entre les galets, la croissance des mousses, l’irisation des flaques; j’inspecterai les grèves, constaterai parfois que la mer, mouvante par essence, se fige à certains endroits, et je noterai tout dans un carnet sensible : c’est mon travail. C’est un travail minutieux, il faut humer, tâter et voir s’il l’on veut être objectif.

tirage jet d'encre 75x110 cm contrecollé dibond 1/3
tirage jet d'encre 75x110 cm contrecollé dibond 1/3

Je sais les météorologies volatiles qui, du crépuscule au crépuscule, meublent les jours qui s’enchaînent, - et l’imprévu au rendez-vous, ou trop tôt ou trop tard, - la danse des nuages sur la baie et alentours, et comment quelques rais animent les fougères, j’appréhende aussi bien la nuit, prompte à rebattre les cartes, et le chant des étoiles ; je ne suis pas naïf. Or certains phénomènes que je notais dans mon carnet, cet automne, annonçaient sans doute cet étrange hiver : à la frange du monde, les cassures sont plus franches.

tirage jet d'encre 60x80 cm contrecollé dibond 1/3
tirage jet d'encre 60x80 cm contrecollé dibond 1/3
tirage jet d'encre 60x80 cm contrecollé dibond 1/3

À la mi-décembre, la lumière s’est lentement effondrée, même au-dessous de l’équinoxe ; c’était inhabituel. S’il est question de bouleverser les paysages, les tempêtes d’automne y sont à leur affaire, mais ce n’est pas cela qu’il s’est passé : il n’y a pas eu de grand chambardement. Cependant, en date du 17, le constat était déjà patent : les cieux avaient déradé, et des lignes de forces incongrues, qui détermineraient plus tard des strates de fixation ou d’effondrement, avaient découpé les espaces, tailladant de biais les frontières entre terre et mer, et entre terre et ciel. Les 22, 23 et 25, des effets d’atténuation notables ont été relevés dans les criques sud et sud-ouest et les sous-bois attenants, qui, dès le 28, s’étaient étendus aux dunes du nord de la baie.

tirage jet d'encre 40x60 cm encadré 50x70 cm 1/3
tirage jet d'encre 40x60 cm encadré 50x70 cm 1/3
tirage jet d'encre 40x60 cm encadré 50x70 cm 1/3

Au terme du processus, de façon à peu près globale, après le réveillon, les roches s’étaient tues. Et j’étais fort en peine de documenter et retranscrire, dans mon carnet, toutes ces absences. Pour janvier, nos notes rendent compte, scientifiquement et passivement, du lent glissement des perspectives, et de la stratification progressive que nous évoquions plus haut. D’un point de vue subjectif, je pourrai témoigner que cette évolution inédite de la Nature n’avait absolument rien de naturel. De fait, en date du 7, sont apparus les premiers artefacts et des brillances inhabituelles dans les nuées. À ce stade, c’est-à-dire à compter du 12, les phénomènes se sont multipliés, sans bruit.

tirage argentique noir et blanc 18x24 cm encadré 24x30 cm 1/10
tirage argentique noir et blanc 18x24 cm encadré 24x30 cm 1/10
tirage argentique noir et blanc 13x18 cm encadré 18x24 cm 1/10
tirage argentique noir et blanc 16x24 cm encadré 24x30 cm 1/10
tirage argentique noir et blanc 13x18 cm encadré 18x24 cm 1/10
tirage argentique noir et blanc 18x24 cm encadré 24x30 cm 1/15
tirage argentique noir et blanc 16x24 cm encadré 24x30 cm 1/10
tirage argentique noir et blanc 18x24 cm encadré 24x30 cm 1/10
tirage argentique noir et blanc 16x24 cm encadré 24x30 cm 1/10